Nous avons donné la parole, le mois dernier, à Annabelle OSTYN de l’Ambassade de France au Sénégal afin qu’elle nous raconte l’aventure du festival 10 SUR 10 au Sénégal, c’est au tour cette fois de Stéphanie ORFILA, attachée de coopération
pour le français, la francophonie, la politique du livre de l'Ambassade de France en Guinée de nous faire (re)vivre l’histoire de cette première
édition sur le sol guinéen.
Rappelons juste que ce premier festival a eu lieu du 9 au 11 mars à Conakry. Qu’il a accueilli quelques 900 collégiens et lycéens venant de 10 établissements scolaires répartis sur plusieurs communes. 5 pièces de théâtre au programme, ce qui nous a permis d’apprécier – et c’est toujours très intéressant - différentes interprétations du même texte. Deux auteures – Emanuelle Delle Piane (Suisse) et Isabelle Hubert (Québec) - avaient traversé pour l’occasion avec nous la frontière entre le Sénégal et la Guinée-Conakry.
Des ateliers ont été proposés aux jeunes de même que de nombreuses manifestations autours du livre et de la lecture. Quant aux représentations, elles ont donné lieu à un tonnerre d’applaudissements, à la mesure du talent des jeunes interprètes !
Pour en savoir davantage sur le programme, vous pouvez cliquer ICI
K.S. : Comment a commencé votre coopération avec le programme 10 SUR 10 ?
S.O. : J’ai rencontré Jan Nowak lors du congrès de la Fédération internationale des professeurs de français à Dakar en juin 2019. Il nous a présenté le programme 10 SUR 10 et nous avons échangé avec l’équipe de l’Institut Français du Sénégal qui avait déjà réalisé une édition très réussie du festival et s’apprêtait à reconduire l’initiative à plus grande échelle. Nous avons pu discuter avec l’auteure Penda Diouf et le concept m’a semblé extrêmement intéressant, tant pour mettre en valeur la richesse et la diversité du théâtre contemporain francophone que pour l’aspect pédagogique d’une telle entreprise.
L’idée était manifestement de donner un plus grand espace dans le catalogue 10 SUR 10 aux auteurs d’Afrique francophone avec une
résidence au Sénégal, prévue pour le mois de décembre. Entre cette résidence et les 50 ans de la Francophonie, cela me
semblait le bon moment pour proposer une édition du festival en Guinée. Jan souhaitait justement faire venir un auteur guinéen à Saint-Louis et j’ai donc proposé que l’Institut Français de Guinée
prenne en charge sa venue. La Guinée et le Sénégal étant géographiquement proches, cela ouvrait des perspectives de mutualisation et nous nous sommes dit à ce moment-là qu’un festival en Guinée
était peut-être jouable.
K.S. : Qu'est-ce qui vous a incité à monter ce festival pour la jeunesse ?
S.O. : J’avais envie d’organiser une belle manifestation pour les 50 ans de la Francophonie, dont la Guinée est membre, et à côté des cérémonies
officielles, je cherchais à monter un projet qui ait un réel impact, avec une visée à la fois culturelle et éducative. 10 SUR 10 était le programme rêvé pour ça : il permettait de
mobiliser des enseignants de français, de leur proposer une pédagogie innovante, de les former à d’autres techniques. Nous avons pu travailler avec des comédiens et metteurs en scène guinéens
qui, de leur côté, se sont vraiment intéressés à la pratique du théâtre dans un cadre scolaire. Faire travailler ensemble des personnes venant d’univers différents est extrêmement enrichissant.
Enfin, et surtout, pour les jeunes, c’était une belle aventure : certains faisaient déjà des ateliers théâtre dans leur collège, d’autres ont complètement découvert cette activité à
l’occasion du festival. L’idée c’était de leur ouvrir des horizons. Ceux qui jouaient, tout comme leurs camarades qui sont venus les voir, ont pu rencontrer des auteurs, des comédiens, des
libraires, participer à des ateliers… Je me suis dit que l’on pourrait peut-être, à partir de cette expérience, développer quelque chose de plus pérenne si la mayonnaise prenait bien.
K.S. : Avez-vous rencontré des difficultés dans la mise en place du projet dans votre pays ? Le cas échéant quelles étaient-elles et comment les avez-vous résolues ?
S.O. : Les difficultés sont multiples, je ne connais pas de projet qui n’en présente pas ! La première chose était d’identifier les 10 écoles qui participeraient à cette première édition. Il fallait des écoles du public et du privé, réparties un peu partout dans Conakry, pour que le projet fasse sens. Nous avons pu pour cela nous appuyer sur un réseau d’acteurs culturels comme le Centre culturel franco-guinéen, le président de l'association des auteurs de littérature de jeunesse, l’Association pour la promotion de la lecture, qui connaissent bien ce terrain et les écoles susceptibles d’être intéressées. Pour le public, comme tout doit passer par la voie administrative, la Direction régionale de l’éducation nationale nous a été d’un grand secours.
Ensuite il faut bien prendre en compte le contexte guinéen : les professeurs gagnent peu, l’année scolaire est de temps à autres bouleversée par des mouvements sociaux, il faut donc faire en sorte que les activités n’empiètent pas sur les heures de cours de façon à ne pénaliser personne. Le transport est un réel problème également, en matière de coût et de temps passé dans les embouteillages, et il est difficile dans ces conditions d’avoir tout le monde présent aux réunions. Il faut savoir adapter son planning, dédoubler les réunions, appeler régulièrement tout le monde. Je tiens à dire que les professeurs et les comédiens qui ont participé à l’expérience ont fait preuve d’une belle motivation.
Dernier point, comme nous avions affaire à des collégiens, la sécurité est une obsession. Or, difficile d’obtenir la liste des 900 enfants qui vont venir participer et assister aux spectacles sur les trois jours. Et même avec des listes, nous avons dû au final refuser du monde car des spectateurs étaient venus en plus ! Si l’on veut s’assurer que tout se passe bien, il faut prendre en charge le transport, mais on ne trouve pas sur Conakry une compagnie de bus qui vous propose toute une flotte de cars scolaires. Il faut donc traiter avec plusieurs agents, trouver un intermédiaire qui veuille bien avancer l’essence… C’était clairement pour moi le volet le plus angoissant.
K.S. : Quels ont été les facteurs qui vous ont le plus aidé dans l'organisation du festival ?
S.O. : Tout d’abord l’expérience de Jan, qui a été force de proposition sur certains aspects organisationnels ; il a su apporter des solutions et faire preuve de souplesse pour faire en sorte que les choses se passent bien. J’ai embauché l’ancienne coordinatrice du Centre culturel, Claire Baudouin, comme cheffe de projet, ce qui s’est avéré un atout incontestable dans la mesure où le festival s’y déroulait et où Claire avait déjà eu à organiser des événements avec ce type de public. À nous deux nous nous sommes réparties les tâches et Claire a pu assurer un suivi de terrain indispensable dans les établissements scolaires.
La collaboration avec les partenaires a été essentielle également : l’Association guinéenne des professeurs de français qui s’est montrée très disponible pour assurer un soutien logistique sur les 3 jours de festivals, l’Association des libraires, qui a contacté ses membres pour tenir des stands, l’Association des écrivains de littérature jeunesse qui est venue assurer des ateliers avec des auteurs, le club littéraire du centre culturel, dont un membre a également réalisé un atelier. Les comédiens se sont montrés très souples également : comme ils devaient assurer le « coaching » de leurs troupes respectives et assurer des lectures pendant le festival, ils se sont organisés, ont sollicité des collègues…
Financièrement l’opération n’est pas aisée non plus, puisque c’est l’Institut Français de Guinée qui portait tout et que nous fonctionnons sans subvention ni mécénat. Nous avons pu mutualiser des déplacements en calant nos dates de formation et de festival sur celles de l’Institut Français du Sénégal, ce qui nous a permis de faire venir deux auteures, dont l’une du Québec. Nous ne disposons pas de salle mais nous pouvions compter sur notre bonne collaboration avec le Centre culturel franco-guinéen, lequel nous a accueillis à bras ouverts, et puis nous avons bénéficié de l’aide de partenaires : la Délégation Wallonie-Bruxelles tout d’abord, très intéressée par le projet, qui a subventionné des lots pour les participants et des chèques livres pour que les enfants puissent acheter des ouvrages au libraires présents, la banque Bicigui, qui a apprécié le fait que l’on implique les professeurs de français guinéens pour créer une dynamique et enfin la société Bonagui, qui nous a généreusement offert des boissons pendant les 3 jours du festival : ils se sont montrés très pro et sont même restés pour donner un coup de main à la distribution !
K.S. : Quelles sont vos impressions sur ce festival ? Quels sont les retours des professeurs et des jeunes ?
S.O. : Ça a été globalement une belle aventure et ça a été aussi l’occasion de belles rencontres. Jusqu’au dernier moment on a des doutes, il y a des choses à revoir, à régler… mais c’est là aussi que l’on a de belles surprises. Quand j’ai proposé le concept aux directeurs d’établissements je ne savais pas s’ils allaient adhérer et déjà, rien que de les entendre dire « oui, on pense que c’est une bonne initiative pour nos enfants, on vous suit », rien que de voir les professeurs se dépêcher de venir en formation après leurs cours alors qu’ils avaient parfois beaucoup de transport et que cela leur faisait de grosses journées… ça rassure énormément.
L’Association guinéenne des profs de français s’est débrouillée pour être présente toute une semaine, d’abord pour aider au festival, ensuite pour bénéficier d’une formation afin qu’ils puissent monter eux-mêmes des projets similaires. Je les ai sentis enthousiastes, tout comme les comédiens qui se sont vraiment bien impliqués pour accompagner les écoles et ont participé avec grand intérêt à cette seconde formation. Je ne sais pas ce que donnera le projet dans les années à venir, nous devions tous en discuter quand le coronavirus est venu contrarier nos projets de réunion, mais la motivation que j’ai sentie de part et d’autres à ce moment-là a été une belle récompense. Je dois tout de même dire que le plus beau moment pour moi c’était de voir l’enthousiasme des jeunes en fin d’après-midi lorsque commençaient les pièces.
Je les sentais contents de leur journée : rencontrer des auteurs, des comédiens, écouter des lectures, feuilleter des livres… Et pour ceux qui jouaient, c’était magique. Ils étaient tellement motivés ! Très pro, même, on a vu de belles choses sur scène et ça c’est vraiment dû au travail de collaboration entre les enseignants et les comédiens.
K.S. : Qu'est-ce que vous pourriez dire aux professeurs qui nous lisent et qui voudraient se lancer dans un projet théâtral avec leurs élèves ?
S.O. : Qu’il faut le faire…
K.S. : Auriez-vous un conseil à donner aux futurs organisateurs de festival 10 SUR 10 ?
S.O. : Peut-être beaucoup dialoguer avec les différents acteurs et partenaires, faire des choses concertées. On ne le fait jamais assez. Quand on est dans le feu de l’action on n’a pas toujours ce temps-là parce qu’il faut avancer, décider parfois rapidement si l’on veut que les choses se fassent, mais si on ne va pas voir les gens pour leur expliquer où l’on souhaite aller, on n’emporte pas leur adhésion. Or on a toujours besoin de prendre des avis et le jour J, ce sont tous ces acteurs qui font que le projet fonctionne bien.
Stéphanie ORFILA
Attachée de coopération pour le français
Directrice des cours - Espace langue de l'Institut français de Guinée
Ambassade de France en Guinée et en Sierra Leone
Katia SHAHOIKA
Communication et développement
Drameducation - CITFP
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Marzouki Sana (mardi, 02 juin 2020 11:21)
Félicitations chers collègues pour la réussite de votre festival . Votre expérience nous inspire pour améliorer le travail de notre deuxième édition.
Bravo Jan Nowak et toute l'équipe Drameducation pour ce projet de coeur et pour tous les sacrifices que vous faîtes pour nous former , nous inspirer , nous soutenir ,et pour fêter le théâtre partout dans le monde .